Les effets de la violence conjugale sur les femmes et les enfants

La violence conjugale est devenue un fait récurrent dans la société sénégalaise. Au-delà des blessures physiques les plus fréquentes, la femme qui vit ces violences peut aussi, sur le plan psychologique, subir des conséquences. Et dans ces tragédies qui se jouent au sein des familles, il n’est pas rare que les enfants aussi en subissent les conséquences.

« Il me frappe comme bon lui semble dans la grande cour de la maison sans compter les insultes », s’indigne une jeune dame retrouvée au rez-de-chaussée de La Maison Rose, un centre d’accueil pour femmes victimes de violences, fondé en 2008.

« Un jour que je n’oublierai jamais, il m’a battue devant les enfants jusqu’à déchirer mes vêtements pour une histoire anodine », se lamente une résidente de la cité religieuse de Touba (centre du Sénégal) jointe par téléphone

« Mon mari regardait des films pornos sur notre lit de mariage, alors que j’étais toujours à ses côtés », se désole une sage-femme, elle aussi victime de violence conjugale.

Ces trois témoignages ont été recueillis par E-jicom Info sous le couvert de l’anonymat auprès des femmes ayant vécu la violence conjugale dans leur chair, un fléau répandu au Sénégal et dont les principales victimes sont les femmes.

Perçue par la société sénégalaise comme une personne devant supporter toutes les humeurs de son époux, la femme est ainsi exposée à toutes sortes de violences de la part de son conjoint. Une violence souvent négligée par la société, mais fatale pour elle et ses enfants, quand elle en a.

A travers un échange téléphonique et d’un ton très triste, une jeune dame qui témoigne également sous le couvert de l’anonymat souligne que lors d’une bagarre avec son époux, sa fille s’est recroquevillée sur elle avec ses larmes. « Pour éviter qu’elle soit perturbée par cette scène de violence, je me suis séparée de lui mais (…) elle me demande souvent (où est) son père et c’est une situation très difficile pour moi », précise-t-elle.

 

Pour faire face à ce difficile sort, les femmes victimes de violences conjugales sont parfois recueillies dans des structures spécialisées qui leur offrent le refuge. La Maison Rose en est une.

Une fois à l’intérieur de ce refuge, on ne peut manquer de remarquer, dès l’entrée, la chambrette qui sert de lieu de stockage pour le ravitaillement des femmes et enfants victimes de violences qui y sont accueillis. Au rez-de-chaussée, on croise déjà un petit groupe de femmes, visiblement toutes en état de grossesses, assises côte-à-côte.

Selon Mona Chasserio, la directrice, La Maison Rose reçoit des femmes du monde entier, chacune trainant ses douleurs et sa souffrance. Les unes sont tranchées ou brûlées, d’autres violées.

Toutes les personnes accueillies dans ce centre ne viennent pas du Sénégal. Il y en a qui viennent de la Guinée, de la Gambie, de la Libye, du Cameroun, selon la directrice qui précise qu’en 2020, elle a accueilli plus de 200 bébés et enfants et plus de 60 femmes victimes de maltraitance.

Entre janvier et novembre 2021, l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS), qui développe aussi des programmes de protection des femmes victimes de violence, à travers ses « boutiques de droit », a enregistré plus de 1 780 cas de violences dans huit de ces « boutiques », selon Zeynab Kane Bodian, secrétaire générale de l’association.

Ces violences ne sont pas sans conséquence sur les enfants. Trouvé dans son bureau au tribunal de grande instance de Dakar, M Oumar Ndiaye, Coordonnateur régional à Dakar des services AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert, un démembrement du ministère de la Justice), souligne qu’il y a une négligence notoire sur la prise en charge psycho-sociale des enfants, dont les parents sont victimes de violence conjugale.

Il ajoute qu’un enfant, témoin de scènes de violences opposant ses parents, peut traîner des « séquelles sur le plan psychologique et moral ».

Le sociologue Mamadou Wone, chargé du Programme Protection de l’Enfant au bureau Sénégal du Fonds des Nations unies pour l’Enfance (Unicef) évoque le rôle que pourrait jouer certains acteurs de la société sur la prise en charge des victimes de la violence conjugale.  D’après lui, « la participation des acteurs religieux dans la prise en charge des enfants ou des femmes victimes de violence conjugale permet d’amortir le choc ».

Au-delà des blessures physiques, qui sont souvent les conséquences les plus apparentes de la violence, la femme qui est victime de ces dernières peut aussi, au plan psychologique, subir des conséquences. Cette violence psychologique demeure la plus sournoise, selon le psychologue Macodou Dièye.

Cette forme de violence se manifeste le plus souvent par le mépris, le délaissement, le défaut de soins, l’infidélité, le fait d’empêcher sa femme d’aller à certains endroits ou de faire des activités (voir des amis ou sa famille, faire des sorties, etc.), forcer le conjoint à faire des choses dont il n’a pas envie (porter un certain type de vêtement, arrêter de travailler, etc.), explique le psychologue.

Selon Macodou Dièye, la femme peut ressentir une souffrance émotionnelle qui peut lui causer la perte de confiance et d’estime de soi, la détresse, l’anxiété, les crises d’angoisse ou de panique, etc.

« La personne qui est maltraitée reste avec des traumatismes et les traumatismes psychologiques sont encore plus graves et plus difficiles à soigner que les traumatismes physiques », renchérit Oumar Ndiaye de l’AEMO pour qui « si vous coupez le bras cela peut guérir mais dans la tête il y a aussi une blessure qui continue d’être sanguinolente ».

Selon M. Ndiaye, « quand l’homme refuse de nourrir sa famille, refuse de contribuer aux dépenses de la maison juste pour punir la femme et par ricochet punir les enfants c’est aussi une forme de violence, économique et psychologique à la fois, très grave dont on ne parle pas souvent ».

Arame Fall, L3, Khadim Diakhaté, L3, Fatou Binetou Rassoul Faye, L3