A la découverte de Clément Abaïfouta : cet ancien prisonnier devenu homme de média

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Il est toujours costaud mais moins qu’il ne l’était il y a une trentaine d’années, selon ses propres mots. Sans doute rattrapé par le poids de l’âge puisqu’il pesé 82kg au moment de son arrestation en 1985. Mais surtout « affaibli » par ses quatre longues années de détention sous le régime « répressif » d’Habré des années 80. Voilà Clément Abaïfouta, un des rescapés de la prison de Sabangalia, que Ejicom Infos a rencontré à Dakar à l’occasion de la 3e édition du Festival Ciné Droit Libre organisé à Dakar. Portrait !

« Il faut dire que sur la tablette de nos cœurs, il s’est passé des choses et ces choses étaient comme enfouies en nous et on n’avait pas une opportunité, une tribune pour vomir ce qu’on avait. C’est comme si nous étions en grossesse et par la suite l’enfant ne sortait pas ». C’est par ces mots que Clément Abaïfouta résume sa vie carcérale longue de quatre « années de travaux forcés » que seul lui-même peut décrire.

« Je ne savais pas qu’une personne pouvait se servir de l’être humain comme on l’a vécu sous l’ère Habré : prendre un être humain, le mettre dans un fût bouillant et attendre à retirer ses os. Embarquer des êtres humains dans un avion et choisir là où il y a du rocher et les jeter », témoigne Clément.

Au moment de se confier à nous, rattrapé par l’émotion il peine à terminer les phrases après la projection du film intitulé « Hissen Habré, une tragédie Tchadienne ».

Né en 1966 à N’Djamena, Clément Abaïfouta a fait ses études dans la capitale tchadienne jusqu’à l’obtention de son baccalauréat littéraire en 1984. L’année suivante, il décide de rejoindre le département de lettres moderne de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de N’Djamena. Un parcours d’une courte durée puisqu’il sera arrêté au milieu de la même année par les éléments de la Direction de la documentation et de sécurité (DDS).

 « C’était une nuit, des hommes armées sont venus frappé à ma porte. Ils m’ont posé la question à savoir pourquoi j’ai voulu aller en rébellion. J’étais étonné parce que je ne comprenais rien de ce qu’ils étaient en train de me raconter », raconte Clément.

Il poursuit en ces termes :« C’est après qu’ils (les éléments de la DDS, Ndlr) m’ont embarqué parce que selon eux j’appartenais à l’Union nationale démocratique. On m’a alors enfermé dans une petite cellule avec une vingtaine de personnes couchées à même le sol pendant deux semaines », se rappelle-t-il.

C’est le début d’une « longue et pénible » histoire pour celui qui, après avoir réussi le bac, avait bénéficié d’une bourse d’étude de l’Union nationale démocratique (UND) pour l’Allemagne. Un mouvement de l’opposition à l’époque.

Quelques semaines plus tard il sera transféré dans une autre cellule. C’est là-bas que Clément est confié à plusieurs corvées par ses surveillants notamment la cuisine la blanchisserie le nettoyage de la cour mais aussi dans le métier de fossoyeur.

« J’ai tellement enterrer de morts. Je m’occupais presque tous les jours des corps, je pouvais même donner un coup de pieds à un corps. Aujourd’hui je n’ai plus de sensibilité devant la mort », témoigne-t-il le cœur meurtri.

Après quatre années de détention, Clément Abaïfouta est libéré en 1989. Pourtant, sa vie reste profondément déterminée par sa détention selon ses dires.

« Je suis là devant vous. Je parle mais je suis malade moralement. Je suis là, je fais des efforts de continuer la vie le temps qui me reste à vivre ».

Deux ans après sa libération, Clément Abaïfouta est sollicité par la Commission d’enquête nationale sur les crimes d’Hissen Habré mise en place par le nouveau régime d’Idriss Deby. Les indications qu’il donne permettent d’identifier les charniers dans la « plaine des morts ».

C’est dans cette logique qu’il sera promu Président de l’Association des victimes des crimes du régime de Hissen Habré (AVCRHH) dans les années 2000. Il est accompagné tout au long de ce combat de maître Jacqueline Moudeïna, avocate des victimes en relation avec Reed Brody de Human Rights Watch (HRW). Une mission que Clément allie aujourd’hui avec un travail de Conseiller et Secrétaire de rédaction à Electron Tv. Un Web Tv privé consacré aux citoyens tchadiens.

Après avoir remporté le combat : celui de la condamnation de son « bourreau » Hisséne Habré, Clément n’a qu’une seule idée en tête : mettre fin à ces genres de « répressions » dans le continent.

« En Afrique, nous devrions nous mobiliser pour bâtir une armée de gens qui savent dire non », a exhorté le président de l’AVCRHH. Ce dernier de poursuivre : « de nos jours Il y a partout des Hissen Habré. Il faut que nous arrivions en tant qu’africains à les dénicher et les emmener en justice pour qu’ils répondent de leurs actes », conclut-il.

Aliou FAYE